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puissance, à la Flamme, au Vent, à la Terre qui récèle le mystère des germes, au petit cours d’eau qui franchit le mur sous une voûte étroite pour se perdre dans l’inconnu occidental, et qui, deux fois par jour, paraît refluer vers sa source, apportant la bave amère du Monstre mugissant.

« L’incendie avait éparpillé sur le sol des tisons ardents et lumineux. Tandis que la plupart des hommes fuyaient avec effroi ces débris où le feu couvait encore, que d’autres, moins prudents ou curieux, y brûlaient, en hurlant, leurs doigts investigateurs, de pieuses personnes, ayant observé l’apaisement de l’élément dévorant, recueillirent avec précaution des branchettes incandescentes, comme les signes sacrés de mon pouvoir et de ma colère. Dans un réduit souterrain creusé tout exprès, ils déposèrent ce feu et s’assujettirent à l’entretenir en lui donnant à manger des écorces et du bois mort. Ils pensèrent ainsi adoucir sa violence en le rassasiant. Et, dans l’idée obscure d’éviter de plus grands maux, ils se privaient de vêtements et d’autres choses précieuses, jusqu’à des poils de leur chair qu’ils jetaient à la flamme en guise de sacrifice. Ce Feu conservé dura jusqu’au moment où ils s’en procurèrent à volonté en frappant l’un contre l’autre des silex arrachés au lit de la rivière. L’essence du feu n’en parut pas moins mystérieuse ni moins sacrée, mais c’est alors seulement qu’ils consentirent à le faire servir à de plus modestes usages. Cette divinité était devenue une divinité familière et domestique.

« Mais ils en avaient déjà ressenti la douce influence durant un hiver fort rigoureux, plus rigoureux que nos contrées n’en ont l’habitude, qui sévit la septième année, alors que leur nombre était déjà grand. Cette année-là, nous eûmes quatre mois entiers de frimas et de neiges. Je vis, dès le début, des froidures, des pèlerins accourir en foule, portant offrande à la Divinité ardente, qui se montra suivant sa nature, sensible à leurs prières et les réconfortait de tiédeur et de bien-être. Mais après avoir joui de ses dons, chacun rentrait chez soi, trop scrupuleux pour emporter du temple, souterrain, la Flamme vive qui égaie et réchauffe les demeures. Ce fut une saison de grande misère. Les grottes habitées furent ensevelies sous un grand linceul. La Pinède redevint déserte comme elle l’avait été avant que j’y eusse jeté le couple humain. Des mois passés, je contemplais ce désastre du haut de cette tour, pensant que mon œuvre avait été anéantie par l’hiver. Depuis longtemps, la curiosité de faire des hommes avait été remplacée chez moi par celle de les voir évoluer, se multiplier, naître au travail civilisateur et à l’Histoire. Grâce à mes Petits Hommes, j’avais l’orgueil d’entrevoir la Loi, mystérieuse pour tous, de l’Évolution… Et voici qu’un ennemi aveugle qui tombait du ciel en flocons blancs et inlassables me ravissait le fruit de mes travaux…

« Mélancoliquement je m’acheminai dans les sentiers de la forêt. Partout la même désolation, le même morne silence. Les pins eux-mêmes, alourdis par leur faix d’ouate glacée, ne frémissaient plus sous l’effort de la bise. Où donc ce peuple actif comme un peuple de fourmis ? Où donc ces ouvertures de cavernes pleines de vies, dont j’avais vu la terre toute forée ? Plus rien qu’une morne étendue rapetissée par cette blancheur qui changeait les fourrés en tombes et les arbres en végétations de marbre. Des oiseaux voletaient, les pattes gelées, ou se posaient marquant la neige d’hiéroglyphes légers…

« Pourtant, à des carrefours, je prêtai l’oreille. J’entendais comme des bourdonnements de ruches. À y regarder de bien près, ce blanc élait sali par des traînées boueuses, troué de soupiraux autour desquels la neige fondait. La vie était-elle enclose sous cette croûte glacée ?… Je courus au lieu où je savais que le feu était conservé dans une retraite souterraine. Un mince flocon de fumée en sortait encore. Quelqu’un vivait donc, qui jetait sans relâche les aliments à la flamme ?

Je me penchai sur l’excavation. De petites ombres passaient et repassaient, éteignant momentanément la lueur du foyer. Tout n’était pas perdu ! Sous les germes