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une avance considérable. Les idées, quand elles trouvent, sans travail leur expression, volent et s’engendrent avec rapidité. Ajoutez que nos premiers parents avaient été retardés, et pendant quelle multitude d’années ! par les luttes à soutenir contre l’animalité sauvage qui n’a comme représentants, dans cette calme forêt de pins, que quelques familles de sangliers et quelques oiseaux de proie. Les Nains n’eurent donc pas autant qu’eux à se défendre et y gagnèrent un temps qu’on ne saurait calculer. Leurs premières armes furent des outils, bâtons aiguisés et pierres emmanchées qui ne leur servirent guère qu’à améliorer leur nourriture, leur habitation et leur vêtement. Enfin, ils jouirent, dès le début, d’aptitudes particulières, due à la très grande activité de leur vie qui, beaucoup plus courte que la nôtre, est proportionnellement mieux remplie, si bien que dix de leurs années enferment le travail d’un de nos siècles.

« À mesure que les familles se multipliaient — et l’on comprend qu’elles aient pu se multiplier vite, si l’on songe à l’extraordinaire fécondité des femmes et à la précocité des unions — elles se répandaient dans ce vaste pays, ignorant la peur des solitudes sylvestres, et fondaient des villages. La première mort arrêta cet essor confiant.

« Déjà les Petits Hommes avaient eu le temps de s’habituer à un sujet d’angoisse et de crainte : le raccourcissement des jours hivernaux, qu’ils prirent tout d’abord pour le présage de l’anéantissement de la lumière. Maintenant, ils savaient que le soleil ne s’éteignait que pour renaître et fêtaient annuellement cette renaissance par des cris et des jeux. Mais l’un des leurs fut éventré par le coup de boutoir d’un sanglier. Le ruisseau rouge qui sortait de la plaie fit accourir un grand nombre d’entre eux et les plongea dans une méditation profonde. Sans doute, ils crurent que la mort de l’homme, comme celle du soleil, était suivie d’une existence nouvelle ; mais le cadavre se putréfia et son odeur les chassa en les emplissant d’horreur. Ceux qui repassèrent par le même endroit en voyant le corps disputé par les vers et les fourmis, comprirent que le défunt ne renaîtrait plus et répandirent la première notion d’un mal irrémédiable, notion que d’autres morts vinrent confirmer.

« À partir de ce moment, la peur régna sur la Pinède ; peur de la Bête qui tue, peur de l’Eau qui noie, peur de mille ennemis invisibles et particulièrement du Monstre énigmatique — la Mer — dont le mugissement retentissait à l’occident par les nuits de tempêtes et qui, par les plus beaux jours, manifestait encore sa présence par des soupirs rythmés.

Les familles humaines refluèrent donc jusque dans le voisinage de ma demeure et mirent leurs existences sous ma protection directe. Il ne fallut, pour les éloigner, pas moins que l’un de ces incendies qui dévorent si souvent, l’été, sans cause déterminée, les bois résineux. Devant ce désastre plus terrible que les autres sujets d’effroi bien que, par fortune, la disposition d’espaces clairs entre les fûts des pins en eût limité les ravages — les Anciens s’assemblèrent et décidèrent qu’on ne pouvait attribuer de si grands maux qu’à la main toute puissante dont venaient aussi tous les biens. Incapables de reconnaître les forces aveugles de la nature, ils comprirent que je les dirigeais dans un secret dessein, qu’elles étaient les truchements dont je me servais pour les instruire ou les châtier. Peut-être aussi, en donnant cet enseignement aux frères plus jeunes, eurent-ils déjà l’idée de les dominer, de se faire reconnaître pour les interprètes de mes volontés. De fait, c’est de cette époque que date la suprématie des Vieillards, oligarchie prudente et sage que j’aidai souvent de conseils directs et qui conserve la tradition des origines.

« Distributeur des biens et des maux, je reçus un culte à la fois respectueux et craintif et les prémices des fruits de la lerre. Les tribus s’éloignèrent du château pour élire définitivement domicile à bonne distance de ce lieu sacré. Le respect s’étendit bientôt à tout ce qui pouvait être considéré comme une représentation de ma