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l’association médicale

des hommes admirablement proportionnés, qui ne diffèrent des autres hommes que par leur taille exiguë. Car les plus grands atteignent à peine, à l’âge adulte, une quarantaine de centimètres. Ce sont des diminutifs. De même que les petits Mammifères, ils arrivèrent très peu de temps après leur naissance à leur pleine maturité, marquée par l’état de l’ossification et du système pileux, par la capacité de procréer des rejetons en tout semblables à eux.

— Non ?… Ceci est plus fort que tout ! vos Nains engendrent d’autres Nains ?

— Certainement. Et même les petites femmes sont plusieurs fois mères dès la première année de leur naissance. Elles portent leur fruit durant un temps très court, ce qui s’explique par la petitesse du rejeton. Cela causa, au début, mon plus grand émerveillement. Sans oser l’espérer, je suis arrivé à imposer à la race une variation brusque transmissible héréditairement ; j’ai suscité dans la famille humaine une espèce nouvelle. Les choses se sont passées comme si j’avais agi involontairement sur les sources mêmes de la vie et la perfection de mon œuvre confond mon propre entendement. La fabrication des Nains fut l’occupation de ma jeunesse. Depuis, je me suis contenté de les regarder se multiplier d’eux-mêmes ; ce qui, vous le verrez, est encore plus passionnant.

Peu à peu, pendant que le vieillard parlait, une colère inexplicable montait en moi, agitait mes membres de tremblements. Oubliant toute révérence, je bondis sur mon interlocuteur et, lui agrippant les épaules, je le secouai violemment.

— Monsieur, lui criai-je, un de nous deux est fou. Lequel ?

M. Dofre fit un pas en arrière qui le dégagea.

— Vous n’êtes peut-être pas fou, mais vous êtes brutal, dit-il froidement.

— Pardonnez-moi d’avoir cédé à une impulsion qui me fait honte. Mais vous me dites des choses incroyables. Ne m’avez-vous fait venir que pour me mystifier ?

Le vieillard sourit.

— L’excuse vaut l’offense, dit-il, mais je ne vous en veux pas. De ce que vous jugez mon œuvre impossible, je n’en ai que plus d’orgueil de l’avoir accomplie.

— Ainsi… ces Nains… existent ?

— Réellement.

— Nombreux ?

— Je n’en connais plus le nombre.

— Et… où ?

Le Docteur étendit la main vers tous les points de l’horizon où les pins agitaient au vent de la nuit leurs chevelures avec le murmure d’une noire marée.

— Là, dit-il.

Un banc se trouva à portée, sur lequel je me laissai tomber. M. Dofre s’assit auprès de moi. J’étais anéanti, avec une honte véritable de me montrer troublé par de telles billevesées. Pourtant, je savais mieux que tout autre que le Nain expérimental n’était point une chimère. J’avais eu en main la preuve… Et la parole de Dofre avait d’ailleurs une telle autorité !…

— De grâce, ne me parlez plus, murmurai-je.

La lune inonda de ses rayons blancs notre groupe, silencieux. Des insectes chuchotaient dans l’herbe. Au loin, les pommes de pin sèches s’écaillaient avec bruit. Toute l’ombre était habitée de vies mystérieuses. À ne distinguer aucune forme, on arrivait à concevoir comme possibles toutes les formes, à ne plus oser assigner de limites à la grand vague de création, chargée de semences, qui roule éternellement sur l’immensité et renouvelle les mondes. À cette heure calme où la raison sommeille, tout rêve devient probable…

Je parlai.

— Mais, hasardai-je, pour produire les premiers de ces Nains, ceux qui sortirent directement de vos mains, il vous fallut violenter la nature. Quelles femmes consentirent à s’abandonner à d’aussi ténébreuses manœuvres ?

— Je ne manquai point de sujets bénévoles, répondit