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l’association médicale

— Tu sais ?… Que sais-tu ?

— Je sais que l’Ancien des Jours a dit : Des pins jaillira la Flamme ! et je crois ce que nos pères ont cru.

Vana tomba sur les genoux. Comme elle était blanche !

— Et je sais, continua-t-elle, que tu es mon seigneur, Celui-qui-lance-la Flamme.

Elle était devant moi, ma petite amie de la fontaine, transparente, quasi immatérielle. Et je ne suis plus bien sûr maintenant de n’avoir pas rêvé cela, car ce qu’elle disait avait l’invraisemblance du rêve. Pourrait-on raisonnablement, à l’état de veille, imaginer une si grande foi qu’elle s’opposât à l’évidence ? Et telle était pourtant celle de Vana qui, voyant les preuves de ma vulnérabilité sur mon front meurtri, les preuves de ma faiblesse dans les liens qu’elle avait coupés, affirmait néanmoins : « Celui-ci est mon seigneur et mon Dieu qui accomplira les prophéties ». M’eût-elle trouvé mort, elle eût crié : « Ce n’est pas vrai. Il ressuscitera ». Est-ce que c’est croyable ?

Songe ou réalité, je la contemplais avec étonnement.

— Vana, lui dis-je, si je dois être le fléau de ta race, pourquoi m’as-tu délié ?

— Ce qui a été dit doit courir. On est poussé par des forces secrètes vers des gestes plus grands que soi. Le Feu est immortel par lui-même, mais pour qu’il vive, il faut pourtant que la brindille se sacrifie. Je suis la brindille. Je suis venue au sacrifice. Je ne sais pas pourquoi.

— Je vais te le dire, Vana. Tu m’aimes. `

Je l’avais saisie par son vêtement. Elle recula, effrayée.

— Non, non. Ne dis pas cela. Ne me touche pas. Je suis souillée.

— Souillée, petite chose ? Je ne comprends pas. Pourquoi es-tu si pâle ?

— C’est que je meurs. Tu ne veux pas comprendre ? Il y avait un veilleur à la porte… L’homme des alarmes de nuit… Comment serais-je venue jusqu’à toi ?… Il ne fallait pas qu’il crie… Alors j’ai mis ma bouche sur sa bouche…

Elle se voila de ses cheveux et commença de haleter comme quelqu’un qui étouffe. Elle était une fragilité, une porcelaine fêlée d’où fuyait la vie.

— Ne pense plus à cela, mon amour. Mon baiser efface l’humiliant baiser.

— … Et je l’ai tué ! Son sang est sur mes mains !

— Béni, l’héroïque péché grâce à quoi je suis libre. Je t’emporterai et tu oublieras. Fuyons, petite sainte !

— Non ! c’est fini… J’ai connu par toi des choses immenses qui font éclater le cœur…

Maintenant elle fermait les yeux et s’abandonna dans mes bras comme une poupée. Sa gorge oppressée rendait un roucoulement de colombe. Si petite, elle était ma seule palpitation d’amour, l’unique vision de printemps que j’emporterais dans la mélancolie de ma vie, la jolie nymphe qui s’était baignée au soleil et qui avait semé des pétales dans l’eau. Elle mourait pour moi de la profanation d’une virginité dédiée. Une mort légère, une mort d’oiseau. Ah ! que mon cœur me faisait mal !

Je ne pensais plus au danger embusqué dans la