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la victime, c’est se rapprocher de la nature de Dieu. Quant à moi, si notre père ne nous avait fait voir, à la façon dont il pleure Joseph, combien la perte de ses enfants le fait souffrir, je n’aurais pas plaidé, pour ce qui nous concerne, en faveur de notre acquittement ; si je n’avais voulu donner satisfaction à ton penchant naturel qui se complaît à laisser la vie sauve même à ceux qui n’auraient personne pour pleurer leur perte, nous nous serions montrés dociles à toutes tes exigences. En réalité, sans pleurer sur nous-mêmes, encore que nous soyons jeunes et que nous n’ayons pas encore joui de la vie, c’est par considération pour notre père et par pitié pour sa vieillesse que nous te présentons cette requête et que nous te demandons la vie que notre méfait a mise en ton pouvoir. Notre père n’est pas un méchant homme, et il n’a pas engendré des enfants destinés à le devenir ; c’est un homme de bien et qui ne mérite pas de pareilles épreuves ; en ce moment, le souci de notre absence le dévore ; s’il apprend la nouvelle et le motif de notre perte, il n’y résistera pas ; cela ne fera que précipiter sa fin, et l’ignominie de notre disparition attristera son départ de ce monde ; avant que notre histoire se répande ailleurs, il aura hâte de s’être rendu insensible. Entre dans ces sentiments et quelque irritation que nos torts te causent aujourd’hui, fais grâce à notre frère de la juste répression que ces torts méritent et que ta pitié pour lui soit plus efficace que la pensée de notre crime ; révère la vieillesse d’un homme qui devra vivre et mourir dans la solitude en nous perdant ; fais cette grâce en faveur du nom de père : car dans ce nom tu honoreras aussi celui qui t’a donné le jour et tu t’honoreras toi-même, toi qui jouis déjà de ce même titre ; en cette qualité, tu seras préservé de tout mal par Dieu, le père de toutes choses, et ce sera un témoignage de piété envers lui, relativement à cette communauté de nom, que de prendre pitié de notre père et des souffrances que lui causera la perte de ses enfants. Ainsi, ce que Dieu nous a donné, si tu as le pouvoir de nous le prendre, il t’appartient aussi de nous le conserver et d’avoir la même charité que Dieu lui-même : ayant ces deux manières d’exercer ta puissance, il te sied de la manifester dans des bienfaits et, au lieu de faire mourir, d’oublier les droits que cette puissance te confère