Les journaux des vingt-cinq dernières années du siècle eurent une liberté de ton que l’on ne retrouve plus aujourd’hui ; on prenait parti à propos de tout et de rien sur les affaires du Canada et même sur celles de France, discutant des problèmes de ce pays avec une passion qui aurait pu faire croire que l’on avait voix au chapitre. On s’enflammait autour du boulangisme ; on pleurait sur l’Alsace, on chantait Bérenger et déclamait Déroulède ; et comme le Canada n’avait pas de drapeau, on arborait le tricolore sans se demander si ces glorieuses couleurs étaient ou non issues de la Révolution ; la réaction se réfugiait dans les milieux officiels où, sans doute pour faire pardonner au peuple d’être demeuré si français, surtout au moment de Fachoda, on pensait qu’il était plus que jamais de mise d’entonner, comme le dit Brunet, le couplet à la gloire des institutions britanniques.
L’important n’était-il pas de demeurer français, gouailleur, légèrement gaulois dans ses propos et ses chansons ? Cette époque vit la publication de ce roman truculent qu’est « Marie Calumet » de Girard qui, sous une forme un tantinet rabelaisienne et quelque peu irrespectueuse, à la manière des « Trois messes basses » de Daudet, affichait la franche gaieté des ancêtres normands