térature ; mais comme le problème de l’existence française ne se posait plus avec l’acuité d’un demi-siècle plus tôt, la polémique avait pris, avec une autre cible, un autre ton. On s’attaquait, maintenant, entre Français ; il y avait envers l’adversaire, une ironie parfois mordante, acerbe, dont on n’avait pas encore eu d’exemple. C’est un régal que de lire les vieilles gazettes des années d’après 1860 : en 1860, avec « La Capricieuse », on avait repris contact avec la France ; un peu plus tard, Rochefort enflammera les polémistes canadiens qui se mettront volontiers à son école. L’esprit pétillait et l’épigramme frisait parfois la méchanceté. On eut, tout à coup, conscience du ridicule : ce fut l’époque heureuse où, sur les bords du Saint-Laurent, ce ridicule pouvait tuer ; Tartuffe n’avait pas encore installé sa royauté. Les matamores et les pisse-vinaigre, qui le savaient, se tenaient cois et évitaient de prêter le flanc aux flèches ; ils ne se rendaient peut-être pas exactement compte que la bêtise trop librement exprimée est un crime dans une société civilisée ; mais ils avaient vaguement conscience que le peuple canadien-français, après un siècle et plus de contrainte, redevenait lui-même, c’est-à-dire un Français d’Amérique qui, comme son cousin de France, plaçait l’esprit au premier rang des valeurs.
Page:O'Leary - Le roman canadien-français, 1954.djvu/28
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
ESQUISSE HISTORIQUE