celui de Camus, c’est Sisyphe roulant sans fin son rocher, mythe que l’on retrouve avec une singulière force dans « L’Étranger » ; et pourtant, il y a une différence essentielle entre Sartre et Camus. Le premier est existentialiste dans toute la force du terme, sans compromission ; et c’est pourquoi il rejette le fatalisme en clamant sa foi en la victoire de l’homme, alors que Camus, s’il ne confesse pas son fatalisme et va même jusqu’à s’en défendre, il n’en subit pas moins son emprise, pour ne pas dire son charme ; ce n’est pas le Fatum des Anciens, mais une fatalité qui se rapprocherait plutôt de celle des Arabes : « Le Malentendu » est typique de cette disposition d’esprit. Avec Simone de Beauvoir, dont « L’Invité » est peut-être le roman le plus représentatif de ses tendances en même temps que le mieux fait ( « Le deuxième sexe » est-il encore un roman ?), Sartre et Camus apparaissent en littérature française, même si leur influence est aujourd’hui devenue presque nulle, comme les romanciers qui ont traduit avec le plus de force les thèmes de l’inquiétude née de la guerre et de la nouvelle faillite de la victoire ; ce sont des métaphysiciens qui se servent du roman plutôt que du traité philosophique ou de l’essai comme mode d’expression, mais, à l’encontre de tant de romanciers à thèse, avec un rare succès.
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LE ROMAN DE L'HOMME