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VIII

s'inquiètent d'être gênées, — et dites si c'est une belle chose que l'aspect de l'hygiène poussée à ce point-là !

Je ne suis point si égoïste que je ne m'afflige à la pensée que le corset peut être quelque chose comme un instrument de supplice ; mais il faut avoir la bonne foi de dire que l'hygiène et l'art de la toilette sont deux choses radicalement différentes et qui s'excluent l'une l'autre. Constatation brutale. On ne peut espérer qu'atténuer la gêne.

Chose grave qu'une modification capitale au costume féminin! Nous avons assisté, en notre temps ,à une espèce de petite révolution, avec la tenue hardiment adoptée par quelques-unes pour la bicyclette, acceptant la veste et la culotte bouffante, à la zouave. Il est convenu de trouver cette tenue cavalière pleine de crânerie. Mais, sans vouloir manquer de galanterie, la vérité n'est-elle pas que c'est là, pour la femme, une épreuve assez redoutable? Les minces, les sveltes, les légères, les délicates n'ont pas beaucoup à y perdre. Mais, pour les autres, avec quelle cruauté ce travesti accuse l'embonpoint, même encore discret, et la tendance à l'opulence des formes ! Combien de cyclewomen qui étaient parfaitement séduisantes en robe, furent imprudentes de céder à la tentation ! quelle lourdeur se révéla soudain, dont elles ne s'apercevaient point, parce que ces disgrâces se manifestaient surtout à les regarder — de dos ! Malgré des exceptions aimables, il me semble que la femme ne peut que gagner à rester extrêmement femme.

Les hygiénistes intransigeants emploient-ils, pour arriver à la persuasion, de grands mots et ne parlent-ils de rien moins que de l'avenir de la race ? Entre-nous, n'exagèrent-ils pas un peu, car il y a pas mal de temps — votre Histoire du corset le prouve, mon cher docteur — que les femmes s'accommodent de ce tourment ? Et puis, l'avenir, c'est bien loin ! N'est-il pas permis, surtout, puisque nous avons les femmes elles-mêmes avec nous, de défendre la grâce et le charme du présent ?

Je m'aperçois que ce n'est pas du tout au médecin, même au médecin indulgent pour les coquetteries féminines, que je parle, et que vous allez peut-être — professionnellement au moins — être choqué de ma férocité d'homme, admettant presque des souffrances chez la femme (souffrances volontiers consenties, du moins) pourvu qu'elle soit plus séduisante. Je crois que j'ai à m'excuser un peu de ma franchise.

Mais votre livre est là, plein de judicieux avis et de ces sages demi-mesures qui conviennent à un esprit philosophique, pour indiquer le remède à des maux dont on ne peut trop radicalement proscrire la cause. C'est votre affaire, et non celle de ce trop long bavardage, qui vous prouve seulement l'intérêt que j'ai pris à la lecture de vos études, à la fois sérieuses et spirituelles — ce qui, entre nous, est bien la meilleure des formules.

Croyez, mon cher Docteur, à mes meilleurs sentiments.

PAUL GINISTY.