Page:O'Followell - Le corset, 1905.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VI

Vous avez sauvé, depuis, d'autres vies humaines, votre science et votre dévouement ont fait d'autres prodiges. Mais, moi, je n'ai pas oublié cette soirée, faite de saisissants contrastes, où, tandis que le théâtre déployait, avec sa frivolité, toutes ses ressources de séduction, vous travailliez bellement contre la mort.

Et voilà comment un souvenir assez dramatique (encore un contraste, voyez-vous!) me fait aujourd'hui répondre au désir que vous avez bien voulu m'exprimer de vous donner mon avis sur une question qui ne semble point trop grave, au moins à première vue.

Je dis « à première vue », car, après avoir lu les épreuves de votre travail, si documenté et si aimablement savant (ce sont deux mots qui se peuvent très bien rencontrer), où vous faites preuve, avec une grâce légère, d'une solide érudition, embrassant, au fond, toute l'histoire du costume féminin, je me rends compte que le sujet que vous traitez, en historien, en lettré et en médecin, est loin d'être futile.

Il me paraît, bien que nous n'ayons pas vos conclusions définitives, en ce premier volume, que vous appartenez à ces esprits heureusement modérés et bien équilibrés qui ne demandent pas l'impossible, qui n'imposent point d'intransigeantes opinions et qui, au contraire, sachant que l'indulgence est la vraie sagesse, cherchent à concilier avec l'hygiène les exigences de la vie moderne.

*
* *

Périodiquement, il se trouve un réformateur pour reprendre la vieille thèse des modifications nécessaires à apporter à l'essence du costume féminin, déclaré contraire à la nature, et funeste. Il y a là un thème dont les développements sont prévus. A l'un des derniers Congrès de gynécologie, ce rôle, masculinisé, d'inutile Cas-sandre échut à un docteur russe, M. Solovieff, qui ne laissa pas de dire les choses — théoriquement — les plus justes du monde. « Soyez moins esclaves de la mode, mesdames, s'écria-t-il, commandez-lui, et vous ne vous en porterez que mieux ! » Mais la mode est, par définition, un capricieux tyran qui, se plaisant généralement en l'absurdité, ne veut, précisément, qu'être obéie.

En ces occasions, on refait le procès du corset (oh ! le temps, vous rappelez-vous, des discussions sur l'a suprême correction de la couleur qu'il devait avoir, à la suite de la publication d'un roman de M. Paul Bourget!). On l'accuse de tous les maux, et c'est lui, déclare-t-on, l'artisan de toutes les souffrances féminines. C'est qu'il ne se contente pas de soutenir : il comprime, et, par là, il est manifestement coupable. Alors, on le condamne solennellement, on exprime le vœu de le voir être un moins cruel auxiliaire de la toilette. Souvent, un orateur, s'exaltant, réclame qu'on en revienne au « drapé », à la façon antique. Les Grecs, qui avaient au plus haut point le sentiment artiste, n'avaient-ils pas les plus gracieux spectacles du monde, quand ils contemplaient des théories de femmes, enveloppées dans leurs vêtements flottants, se rendant aux offices de quelque bonne déesse ? Et, sans remonter si loin et pour avoir de probants exemples sous les yeux, voyez seulement, au théâtre, les tragédiennes, quand elles représentent les filles de l'antique Hellas, dont la démarche, sous leurs longs voiles, prend la plus pure harmonie. N'y a-t-il pas là de quoi faire pester contre les robes ajustées ?

Ainsi, les arguments se déroulent, semblant exprimer un avis raisonnable. Mais ces réformateurs me font tout de même un peu sourire, je l'avoue, avec leurs conceptions absolues. Ils parlent comme s'il n'existait, dans le monde, que de très jolies femmes, à qui tout 'sied également. Hélas ! la perfection des formes est bien peu de ce temps-ci, et où sont-elles, les divines Grecques qui passaient sur l'Agora, dans l'orgueil et la splendeur de leurs corps