Page:O'Followell - Le corset, 1905.djvu/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PRÉFACE


Mon cher Docteur,


Vous savez ma sympathie pour vous, depuis ce soir de première représentation où je vous ad vu opérer le miracle de quelque chose comme une résurrection. Quels souvenirs ! Pendant qu’on jouait le quatrième acte de la pièce nouvelle, un drame réel se passait dans la coulisse. Dans le cabinet du régisseur, où on avait transporté, frappé du mal subit qui l’avait terrassé, un de ceux qui étaient le plus intéressés au succès de l’ouvrage, des comédiennes, en pimpant costume Louis XV, s’empressaient inutilement, tandis que retentissait la sonnette de l’ « avertisseur » qui les appelait en scène.

Inanimé, notre ami gisait sur le tapis, le visage devenu noir, et nous avions vainement puisé, pour le soulager, dans la « boîte de secours ». Un premier diagnostic nous avait navrés, et, en effet, ce n’étaient déjà plus les symptômes de la fin, mais, à ce qu’il nous semblait, la fin elle-même. Dans la salle, qui ne se doutait de rien et qui souriait à un aimable tableau du petit lever d’une belle marquise, le secrétaire du théâtre cherchant les parents de celui qui paraissait succomber, pour leur annoncer, avec quelques ménagements, la terrible nouvelle. Quelle scène poignante de tragique vérité, parmi toutes les illusions que nous faisons vivre !

Vous étiez là, non pas même comme médecin du théâtre, mais en visite dans la loge d’une des plus séduisantes actrices. Vous accourez, vous écartez les « gentilshommes » et les « grandes dames », qui, trahissant leur inquiétude sous leur maquillage, encombrent le couloir. Vous ne voulez pas désespérer, comme tout le monde : un canif, traînant sur un bureau, vous devient une lancette, un morceau de bois vous aide à pratiquer la traction rythmée de la langue ; vous ne vous découragez point, et, en habit noir et en cravate blanche, vous vous retrouvez le vaillant praticien que vous êtes, d’active et ingénieuse décision. Un quart d’heure, une demi-heure se passent ; vous luttez toujours, avec une sorte de belle humeur, même au milieu de ces circonstances graves, inspirant confiance autour de vous, bien qu’on ne puisse espérer encore. Vous vous acharnez à faire triompher la vie : enfin, des signes, d’abord presque imperceptibles, reparaissent d’une existence reconquise ; ce corps, tout à l’heure inerte, s’agite faiblement. Quelques instants plus tard, celui qui revient, grâce à vous, de si loin que j’ai toujours cru qu’il avait même été un peu jusqu’à l’ « au-delà », peut échanger avec nous, qui l’avions cru condamné, quelques paroles…