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travaillent jour et nuit pour acquérir des richesses. Quelques-uns réussissent et amassent de grandes fortunes, d’autres ne réussissent pas, restent dans la médiocrité ou même dans la misère. Mais la poussée de bas en haut, l’ascension perpétuelle de la pauvreté à l’opulence s’observe en Asie comme en Europe. C’est la trame journalière de la vie sociale. À chaque instant, en Chine comme chez nous, certains individus montent les échelons du bien-être, d’autres les descendent.

Eh bien, quand on affirme que notre race est condamnée à périr parce que les ouvriers chinois se contentent d’une poignée de riz, on méconnaît les fénomènes sociaus les plus universels. Dès qu’un Asiatique peut gagner de l’argent, il ne se contente plus d’une poignée de riz. Combien les pessimistes ne nous rebattent-ils pas les oreilles de la « sobriété » des Chinois, qui doit être l’écueil contre lequel se brisera notre civilisation ! Eh bien, ils tombent mal. Précisément le Chinois est l’homme le moins sobre de la terre. Nulle part la cuisine n’a reçu autant de raffinement que dans le Céleste Empire. Des repas de 140 plats y sont fréquents. Les Chinois dépensent des sommes considérables pour se procurer les mets les plus rares. Les pessimistes, un peu brouillés d’ailleurs avec la géographie, oublient que toute la Chine ne se trouve pas dans la zone chaude, où une nourriture très abondante est moins nécessaire. Les Hindous, vivant sous un ciel de feu, sont naturellement assez sobres. Mais on peut manger peu et bien. Chez les riches habitants de Calcutta et de Bénarès, la table est servie de mets forts variés. On se donne aussi dans l’Inde le plaisir de la bonne chère.

Si donc le plus grand danger de notre civilisation vient de ce que les Asiatiques se contenteront, soi-disant, toujours d’une poignée de riz, nous pouvons dormir tranquilles.

Ce qui a contribué à créer la légende de la sobriété chinoise, c’est que les émigrants de l’Empire du Milieu font de grandes économies dans le pays où ils vont travailler temporairement. C’est aussi le cas des Italiens. Mais si les Célestes se contentent d’une poignée de riz pendant quelques années, c’est pour mieux vivre, plus tard, quand ils seront rentrés dans leur pays.

Le Chinois ne peut faire que trois usages des bénéfices réalisés dans nos pays. D’abord il peut les consommer immédiatement. En ce cas, en ayant un salaire de 5 francs, il vivra sur un pied de 5 francs et non sur celui de 25 centimes. Il ne se contentera donc pas d’une poignée de riz. Il fera marcher le commerce. En second lieu le Chinois peut économiser et faire valoir ses capitaus. Alors lui ou d’autres per-