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on put se représenter l’utilité d’y faire travailler des esclaves. Alors les chefs des entreprises de banditisme, tant privées que publiques, purent trouver avantageux de s’emparer non seulement des richesses des pays conquis, mais des habitants mêmes de ces pays. Les femmes, tout d’abord, constituèrent un butin précieux pour les guerriers. Ensuite, on trouva aussi un bénéfice à soumettre les hommes pour les faire travailler. Cela montre qu’on pouvait leur donner un travail immédiatement et qu’ils ne constituaient pas un seul instant des bouches inutiles à nourrir. Or, cela suppose un travail régulièrement établi, donc un degré de civilisation assez élevé.

D’ailleurs, l’esclavage a été, non seulement un fait récent, mais, de plus, il n’a jamais été un fait universel. Dans toutes les sociétés, il y a toujours eu un grand nombre de citoyens libres. Il ne pouvait pas en être autrement ; car, sans un grand nombre de citoyens libres, il n’aurait pas pu exister une force suffisante pour dompter les esclaves. Or, ces citoyens libres ne pouvaient pas vivre sans rien faire. Les uns étaient agriculteurs, les autres industriels, marchands, etc. Mais, nécessairement, un grand nombre étaient artisans et même simples manœuvres. Quoi qu’on en ait dit, le salariat a existé de tout temps. Or, ces citoyens libres qui travaillaient contribuaient, eux aussi, il me semble, aux progrès de la civilisation[1].

L’exemple de l’esclavage montre très bien comment se composent les romans anthropologiques. Les hommes vivent au milieu de certaines institutions. Elles leur paraissent conformes à la nature des choses. Alors ils affirment, sans avoir aucun fait à l’appui, que ces institutions ont existé de tout temps. Le roman est créé.

Ou bien ces romans servent à justifier quelque institution existante, que la raison contemporaine commence à

  1. Praxitèle, qui sculptait le marbre de sa propre main, était, au point de vue strictement économique, un travailleur manuel libre. On ne contestera pas, j’imagine, qu’il ait fait avancer la civilisation.