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resté soulevé. La possibilité du transformisme par des moyens naturels reste établie, la théorie des créations successives des êtres fut ruinée pour toujours et la pensée des savants a profondément évolué. »

Le triomphe du darwinisme marque l’affranchissement de l’esprit humain des liens de la théologie. Par suite, il est un des événements les plus importants de l’histoire de notre espèce. Le surnaturel, chassé successivement de toutes les sciences physiques, avait trouvé son dernier refuge, qu’on croyait inexpugnable, dans les domaines de la biologie et de la psychologie. Il n’était possible d’expliquer les phénomènes de la vie et de la pensée, affirmait-on, que par l’existence dans la nature d’un principe conscient tendant vers un but déterminé. La vie et la pensée prouvaient l’existence de Dieu et la vérité de la philosophie dualiste. La théorie darwinienne fit écrouler tout cet édifice construit patiemment pendant de longs siècles. Puisque les espèces se transformaient par des moyens naturels, tout miracle était rendu inutile, aussi bien dans le domaine de la biologie que dans celui de la psychologie. La nature rentrait dans une grandiose et magnifique unité. L’ordre immuable remplaçait dans l’univers les caprices de la divinité. L’homme relevait la tête ; il se sentait le maître du monde ; il voyait que des horizons infinis s’ouvraient devant ses yeux et qu’aucune autorité ne pouvait désormais l’arrêter dans ses conquêtes. Le darwinisme apportant la libération définitive de l’esprit humain, on peut comprendre avec quel enthousiasme il fut accueilli par les penseurs imbus des véritables tendances scientifiques, par tous ceux qui s’étaient complètement affranchis des traditions surannées, des routines anciennes et de l’ignorance d’un passé barbare. « L’apparition de l’Origine des espèces de Darwin, en 1859, dit M. H. Lichtenberger[1], sembla donner le coup de grâce à la thèse spiritualiste. »

  1. L’Allemagne moderne et son évolution, Paris, 1907, p. 293.