Page:Novalis - Les Disciples à Saïs, 1914, trad. Maeterlinck.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
LES DISCIPLES À SAÏS

route ! Ce n’est pas de la sorte que tu avanceras. Ce qu’il y a de meilleur, c’est la joie de notre âme. Est-ce là l’humeur de la Nature ? Tu es jeune encore, et tu ne sens pas dans tes veines l’ordre de la jeunesse ? L’amour et le désir ne remplissent pas ta poitrine ? Comment peux-tu demeurer dans la solitude ? La Nature est-elle solitaire ? La joie et le désir fuient celui qui est seul ; et sans désir, à quoi sert la Nature ? C’est seulement parmi les hommes qu’il retrouve sa patrie, l’esprit, qui sous mille couleurs variées pénètre dans les sens et qui t’environne comme une amante invisible. En nos têtes, sa langue se délie, il occupe le haut bout de la table et entonne les chants de la vie bien-heureuse. Malheureux, tu n’as pas encore aimé ! Au premier baiser un univers nouveau s’ouvrira devant toi et la vie, de ses mille rayons, pénétrera ton cœur extasié. Je vais te conter une légende : écoute-moi.

Il y a bien longtemps vivait du côté du Couchant un homme jeune. Il était très bon, mais très étrange aussi. Il s’irritait sans cesse et sans raison, il marchait sans détourner la tête, s’asseyait solitaire lorsque les autres jouaient joyeusement, et il aimait des choses singulières. Ses séjours favoris étaient les grottes et les forêts, et il conversait sans relâche avec les quadrupèdes et les oiseaux, les rochers et les arbres. Ce n’étaient naturellement pas des paroles sensées, mais des propos absurdes et grotesques. Mais toujours il demeurait grave et morose, encore que l’écureuil, la guenon, le perroquet et le bou-