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FRAGMENTS

n’est qu’à l’âme musicale que le murmure des forêts, le sifflement du vent, le chant du rossignol, le bavardage du ruisseau, semblent parfois mélodieux et significatifs. Le musicien prend en lui-même l’essence de son art ; et le moindre soupçon d’imitation ne peut l’effleurer. La nature visible semble préparer le travail du peintre et être le modèle qu’il ne pourra jamais atteindre ; mais en soi, l’art du peintre est aussi indépendant, aussi apriorique que l’art du musicien. Le peintre ne se sert que d’une langue hiéroglyphique infiniment plus difficile que celle du musicien. Le peintre peint avec les yeux ; son art est l’art de voir harmonieux et beau. Voir est ici absolument actif ; activité imageante. Son image n’est que son chiffre, son expression, son outil de reproduction. Il faut comparer aux notes ce chiffre d’art. Le musicien pourrait plutôt opposer à l’image du peintre les multiples mouvements des doigts, du pied et de la bouche. Le musicien entend aussi activement ; il entend dehors. Il est vrai que cet emploi renversé des sens demeure un mystère à la plupart ; mais tout artiste en aura plus ou moins clairement conscience. Presque tout homme est déjà, jusqu’à un certain points un artiste ; en effets il voit dehors et non dedans, il sent dehors et non dedans. La grande différence est celle-ci : l’artiste a vivifié dans ses organes le germe de la vie auto-imageante, il a élevé au profit de l’esprit la sensibilité de ces organes ; et par là même il se trouve en état d’effluer à volonté des idées sans sollicitations extérieures et d’employer ces organes comme des instruments aptes