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LA GAGEURE


» Cependant j’étais fort étonné
» Que Dorotea ne se fût pas encore montrée.
» Ah ! me dis-je en moi-même, ce traître
» Des cocus craint d’augmenter la liste !
» Mais il me dit que si elle tardait,
» C’est qu’elle avait à faire le pain et la lessive.

» À la fin, la belle parut, et quel
» Vaste incendie s’alluma dans mon sein,
» Je ne saurais le dire, Fra Biagio ; d’une pareille ardeur
» Jamais ne brûlai, et semblable poison,
» Doux poison qu’on prend par les yeux, dans mon cœur
» Ne fut jamais versé par ce polisson d’Amour.

» Nous nous mîmes à table, et en face
» De moi se plaça mon idole adorée,
» Elle me fit de l’œil et je lui en fis,
» Nous comprîmes tous deux une si douce invite,
» Et déjà dans le fermier Meo il me semblait voir
» Le plus grand cornard que la terre eût porté.

» Pendant ce temps-là, de mets choisis et de bon vin
» Je me remplissais avidement la panse ;
» Déjà du délicieux Chianti et de l’Artimino
» La fumée me montait à la tête ;
» Ils faisaient échec à ma raison,
» Cupidon et Bacchus me brûlaient le cœur.

» Ainsi bouillant de chaleur, et, devant moi,
» Voyant toujours la belle Dorotea,
» Je sentis le géniteur des hommes et des saints
» Qui déjà se mettait à lever la tête ;
» Il devint bientôt si raide et si dur,
» Qu’il aurait enfoncé… j’ai presque dit un mur !