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LA GAGEURE


» Pour mon malheur, j’avais pareille somme,
» Produit de messes célébrées au couvent,
» Et comme je ne savais quelle idée
» Ce fourbe avait alors en tête,
» À l’entendre établir une telle convention,
» Il me sembla sortir d’affaire à très bon marché !

» Diable ! me disais-je à part moi, en voilà un qui me prend
» Pour un grand sot, assurément :
» Il ne connaît guère le métier de moine,
» S’il croit me mettre à une bien dure épreuve ;
» Dissimulation et hypocrisie sont peut-être pour un moine
» Choses extraordinaires et inusitées ?

» Il me laissa, puis revint et m’introduisit
» Dans une chambre proprette et élégante ;
» Il me mena près du feu pour me sécher,
» Ensuite la table fut dressée,
» Sur laquelle des paysans à son service
» Apportèrent un souper, mais un vrai souper de fermier !

» Pendant qu’ils faisaient les préparatifs,
» Le fermier avait quitté sa mine rébarbative,
» Et s’entretenait familièrement avec moi ;
» Nous cherchions, chacun de notre côté, le moyen
» De faire dire à l’autre une bêtise
» Et de le forcer ainsi à s’en aller.

» Mais vainement : une telle guerre était sans danger,
» Guerre entre galérien et marinier ;
» Je ne cédais pas, il résistait ferme,
» Je montrais de la prudence, et lui aussi ;
» Nous nous tenions tous deux sur nos gardes, si bien
» Qu’alternativement nous crevions de rage et de rire.