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LA GAGEURE


» Un avare, un brigand, qui pour un sou
» Ferait l’espion et même le sbire ;
» Si, pour pendre son père, le bourreau
» Manquait, il se chargerait au moins de lui tenir les pieds :
» Enfin, les moines qui vont quêter aux alentours
» N’osent pas lever les yeux sur sa maison.

» Plutôt que de passer la nuit transi de froid
» Et trempé comme je l’étais, à découvert,
» J’ai voulu de cette vermine en habit
» Gagner le toit, bien que je fusse certain
» Que je ne pouvais attendre d’un si affreux vaurien
» Autre chose qu’une méchante affaire.

» Mais un motif plus puissant dans cette maison
» M’attirait : depuis longtemps j’étais
» Amoureux de la belle femme
» Du fermier, nommée Dorotea ;
» Je voulais essayer si à ce maudit
» Je pourrais jouer le tour de lui planter des cornes.

» Appuyé sur mon bâton, à pas lents,
» Au risque de me casser le cou à chaque instant,
» Poussé par la volonté du malin Satanas,
» Qui ne m’avait pas encore fait assez souffrir,
» J’arrivai à la porte de ce mécréant,
» Et je criai en frappant : Dieu soit béni !

» Il vint ouvrir en personne, et, soudain :
» — Bah ! dit-il, cordieu ! que vois-je ? un moine ?
» Je ne loge pas si triste engeance,
» Allons ! mon petit père, vous vous méprenez,
» Racaille monastique n’entre pas ici :
» Ce n’est pas un terrain à planter votre vigne. —