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LA GAGEURE


» J’aurais pu peut-être rentrer au couvent,
» Éloigné, comme tu sais, de cinq ou six milles,
» Mais il s’éleva tout à coup un vent furieux
» Qui secoua violemment le feuillage des arbres ;
» Dans l’air se répandit un nuage infect
» De fine et puante poussière.

« Puis commença une maudite pluie,
» À rendre des points au déluge universel ;
» Je me mis en toute hâte sous un chêne vert,
» Cherchant un abri contre cette tempête :
» Mais en vain, j’y fus tellement trempé,
» Que j’avais l’air d’un poussin déplumé.

» L’orage dura plus de deux heures ;
» Quand il cessa, la nuit était si obscure,
» Que se mettre en route sans lanterne,
» C’était jouer à la mourra[1] dans un tombeau.
» J’avais perdu mon fidèle compagnon :
» L’âne était tombé dans le torrent.

» Mais, en réfléchissant plus à l’aise à l’endroit
» Où m’avait surpris une si affreuse tempête,
» Il me vint à l’esprit que pas bien loin
» Habitait un fermier appelé Méo,
» Mauvais drôle, larron fieffé,
» Qui trouverait à voler sur une coque d’œuf ;

  1. La mourra se joue debout et à deux. Les joueurs sont en face l’un de l’autre, pied contre pied, les yeux dans les yeux ; l’un d’eux jette la main droite en avant, en étendant un nombre de doigts qu’il crie à haute voix ; l’autre doit aussi jeter instantanément la main droite en étendant et en criant le nombre de doigts qu’il faut pour compléter cinq. Cela se joue avec une passion effrénée ; on en vient souvent aux coups de couteau, mais il faut y voir clair.