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LA GAGEURE


— « Foutre ! laisse-moi tranquille, Fra Biagio,
» Laisse-moi dévorer seul mon chagrin,
« Et que dans l’enfer une cruelle angoisse
» Me précipite, avec le mal an que le ciel me donne !
» De toute façon, ce qui est fait est fait,
» Et en parler serait peine perdue. »

— « Tu te trompes, mon frère, » répliqua Fra Biagio,
« Tout chagrin, si amer qu’il soit,
» Quand on veut le conter à un ami,
» S’adoucit, s’il ne se dissipe,
» Raconte-moi tes malheurs : je te conseillerai,
» Et te viendrai en aide dans ton extrémité !

» Expose-moi le fait simplement :
» Je n’ai pas besoin de te dire
» Que je suis ton ami et même ton parent,
» Si la figue entre nous peut créer parenté…
» — Ah ! tais-toi ! » dit l’autre, « c’est justement de la figue
» Que me vient mon désespoir et ma détresse.

» Assieds-toi, Fra Biagio, je te raconterai une aventure,
» Une aventure, par Dieu ! telle qu’en ce monde
» N’arriva jamais la pareille ; je suis persuadé
» Que quelque diable ennemi du capuchon
» Est venu du fond de l’enfer tout exprès
» Pour me causer tant de peine et de tourment.

» Phébus allait se baigner le cul
» Dans l’Océan, et vingt-trois heures étaient sonnées,
» Quand hier soir, dans cette plaine, satisfait
» D’abondantes aumônes ramassées,
» Je poussais devant moi à force de coups
» Mon âne chargé à n’en pouvoir plus.

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