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LA GAGEURE


Sur les branches, les habitants de l’air, aux mille couleurs,
Faisaient entendre leurs chants harmonieux ;
Dans les prés verts, humides de rosée,
Se jouaient les enfants de l’aimable Doris ;
Partout une odeur parfumée…
En un mot, il faisait jour déjà.

Tout riait dans la nature : seul
Sous un hêtre était couché, bien triste,
Fra Bernardino qui, levant vers le ciel
Des yeux hagards, tantôt frémissait en silence,
Tantôt s’écriait : « Aïe ! triste aventure que la mienne ! »
Tantôt lâchait quelque juron.

Comme il allait ainsi, exhalant sa douleur,
En blasphémant, pleurant et soupirant,
Arriva Fra Biagio, habile quêteur
De nos religieux Franciscains :
Il vit son camarade, s’approcha de lui
Et s’écria : « Que fais-tu là, Fra Bernardino ? »

— « Ce que je fais ? » dit-il, « je me ronge les poings
» De rage, de colère et de honte ;
» Je donnerais, cordieu ! mon âme aux chiens,
» Je m’ensevelirais vivant dans une fosse,
» Mais… passe ton chemin, Fra Biagio,
» Et que le ciel t’accorde plus de chance et de bonheur ! »

À ces paroles, le moine étonné
Lui repartit : — « Frère, que t’est-il arrivé ?
» Est-ce qu’en raison de ta bonne conduite
» Tu as été expulsé du pays ?
» As-tu engrossé une fille ? as-tu la peste ?
» Ou bien t’est-il venu des crêtes au cul ? »