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ELVIRA


Alvaro, qui déjà s’était aperçu
De ces dispositions étranges et contre nature,
Sans crainte de devenir cocu
Confia la Reine à sa garde,
Et un si grand honneur, que tant d’autres auraient envié,
Fut pour notre duc une cause de pleurs amers.

À peine ce niais a-t-il appris
À quel emploi le prince le destine,
Qu’il croit aussitôt à une trahison, machinée
Par quelque courtisan pour l’entraîner à sa ruine,
« Si la Reine s’amourache de moi, »
Dit le nigaud, « que devrai-je faire ?

» Je ne veux à aucun prix jouir d’elle,
» La fidélité ni l’honneur ne me le permettent,
» Mais les courtisans n’en diront pas moins
» Que j’ai planté des cornes à mon seigneur.
» Et alors s’abattra, malheureux que je suis !
» Sur ma tête la colère du Roi.

» Ah ! tâchons de trouver un expédient certain
» Contre les accusations de la médisance !
» La faveur de mon Roi m’est trop précieuse ! »
Ainsi parla l’imbécile, et aussitôt,
Sans prendre pour réfléchir un seul instant,
Il se prépara résolument au grand œuvre.

Tu sais bien, lecteur, ce que Fulbert,
Ce chanoine orgueilleux et intraitable,
Fit trancher à Abélard, lorsqu’il eut
Découvert, ô sort épouvantable et cruel !
Que le malheureux jouissait en secret
De sa nièce, la charmante Héloïse.