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ET GRACE


» Que maudite soit ma fureur jalouse !
» Que maudit soit le Roi avec sa Cour !
» Que maudit soit celui qui l’a marié !
» Que je sois maudit, moi qui t’ai donné la mort !
» Que maudit soit le jour où je suis venu au monde !…
» Que l’Erèbe profond s’ouvre et m’engloutisse !

» Ah ! avant de franchir le dernier pas, et avant
» Que mon âme se précipite dans le gouffre du Léthé,
» Laisse-moi imprimer un baiser sur tes lèvres,
» Te fermer les yeux de ma propre main,
» Laisse-moi fermer ces beaux yeux,
» Flammettes éteintes du Dieu d’amour !

» Tu ne mourras pas sans vengeance, je te le jure,
» Je me planterai mon couteau dans la gorge,
» Je me pendrai à une poutre ou au mur,
» Avec de grandes cisailles je me couperai l’oiseau…
» Ah ! que tardé-je ? pourquoi me plaindre ? pourquoi souffrir ?
» Mourons… mais je veux d’abord te serrer sur mon cœur. »

En disant cela, il se baisse, et de sa femme,
Qu’il croit morte de si fatale manière,
Il s’approche pour baiser les joues,
Mais il sent que c’est un visage de cire qu’il baise,
Il la touche, et trouve, au lieu d’une femme,
Une poupée affublée d’un corsage et d’une jupe.

« Ah ! coquin, canaille, brigand ! »
S’écrie-t-il alors, « ah ! tu m’as fait la figue !
» Me tenir cachée une semblable ruse,
» Comment l’ont-ils pu ? Ah ! effrontée coquine !
» Ah ! cette infamie me coupe la respiration !
» Oh ! femme traitresse ! oh ! Roi tyran !