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LE ROI BARBADICANE


Le tailleur part, mais il n’était pas mince le circuit
Qu’il devait faire avant d’atteindre sa boutique ;
Il pousse à chaque pas un gros soupir,
Tantôt il blasphème, tantôt, silencieux, il implore le ciel,
Et, craignant quelque affreux malheur,
Il arrive à sa maison, va dans la cour, et crie : Grâce !

Elle, à ces mots, vêtue de ses habits ordinaires,
Vint sur la terrasse, comme d’habitude ;
Alors le pauvre malheureux sentit
Se calmer au fond du cœur ses cruelles inquiétudes ;
Et, en recommandant à sa femme d’être fidèle,
Il retourna à la Cour avec le caporal.

Là, il retrouve le Roi avec la Reine,
Assis dans la même chambre,
Et, vêtue de blanche mousseline,
Sa femme, comme auparavant, lui apparaît.
Il serre les épaules, et, quelque peu rêveur,
Se met à prendre les mesures.

L’œuvre finie, il demande au Roi son congé,
Sans être encore délivré de son premier soupçon ;
Mais il le demande en vain ; il feint un nouveau besoin,
Et le Roi : — « Si vous avez pris une purge, »
Lui dit-il, « vous pouvez, sans vous gêner,
» Faire même à la Cour cette opération. »

Plus il regardait la belle femme,
Le pauvre tailleur, plus il éprouvait l’ardent désir
De quitter aussitôt la demeure royale,
Et de voir si sa femme était bien à la maison ;
Qui aurait pu croire que Nature
Eût fait deux visages si pareils l’un à l’autre ?