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LE ROI BARBADICANE


Alors la Reine : « Voici l’épouse, »
Dit-elle, « que va bientôt prendre mon fils ;
» Regardez comme elle est belle, appétissante !
» Regardez ces couleurs blanches et roses !
» Le Roi y a mis le temps, c’est vrai,
» Mais aussi il s’est choisi un fameux morceau.

» Il faut chercher, mon gracieux maître,
» À lui faire un costume digne d’elle ;
» Un si grand honneur vous a été réservé
» Comme au meilleur tailleur de tout le royaume ;
» Levez-vous, Madame, et vous pouvez, vous,
» Lui prendre mesure, si vous voulez. »

À demi hors de lui, ses ciseaux, son papier
À la main, le tailleur se mit à l’ouvrage,
Quand pour augmenter encore son trouble,
Voici qu’il vit au cou de la dame un grain de beauté
Tout pareil à celui qu’avait sa femme, au cou aussi,
Et qu’il avait couvert de mille baisers.

À cette vue, il commença à trembler
Comme un frêle roseau secoué par le vent ;
Ciseaux, papier, il laissa tout aller,
Et peu s’en fallut qu’il ne tombât en faiblesse ;
À la fin, il dit : « Majesté, mon travail
» Ne sera point parfait, si je ne retourne en hâte à la maison. »

À ce moment, le Roi parut, et comme il avait entendu
Que le tailleur voulait s’en aller,
Il lui dit d’un air affable et poli
Que cela lui déplaisait beaucoup,
Et il ajouta : « Ce serait pour moi une vraie disgrâce
» D’être privé de votre GRACE.