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ET GRACE


Cela réjouit le tailleur, mais en réfléchissant
Qu’il devait laisser sa femme seule,
Il eut un moment d’hésitation,
Puis il dit au caporal qu’il ne pouvait venir.
— « Mais il me faut, » répondit l’autre, « à l’instant même
» Ou vous amener, ou rapporter votre tête. »

À un tel dilemme, capable de faire peur
Au sophiste le plus habile et le plus retors,
Le tailleur se décida à partir tout de suite ;
Il ajusta ses effets et, tout en tirant
Ses manchettes, il alla dans la cour
Et appela sa femme, qui se montra.

« je vais, » lui dit-il en tremblant bien fort
De colère, de crainte, de jalousie,
« Chez le Roi ; je suis nommé tailleur de la Cour.
» Ne me trahis pas, ma douce espérance,
» Ne me trahis pas ; je reviens dans un moment,
» Fais que je te trouve toujours fidèle et constante. »

Cela dit, il partit avec le caporal,
Par lequel jusqu’au palais il fut suivi ;
Rapide comme l’éclair, il monta les escaliers royaux,
Mais avant qu’il pût prendre
La mesure du costume, il attendit longtemps
Et longtemps il dut faire antichambre.

À la fin il est appelé par la Reine,
Et à peine est-il entré dans son cabinet,
Que, vêtue d’une blanche mousseline,
Il voit sa femme en face de lui.
Il demeure, ébahi, à la regarder,
Yeux et bouche ouverts, et ne dit pas un mot.