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LA NUIT


Barbagrazia s’habilla, s’assit sur un fauteuil,
Et dit en frémissant : « Holà ! faites savoir
» À ces bougres de polissons
» Que je les veux tous voir dans le salon réunis. »
Un serviteur comprit à ce mot ce qu’il voulait
Et porta aux pages son exprès commandement.

Ils se réveillèrent en sursaut, et vite
S’habillèrent, les yeux encore en papillottes ;
Un d’eux, plus éveillé que les autres,
Avec un juron qui fit trembler les cieux,
S’écria : « Quel est celui d’entre vous, coquins,
» Qui m’a coupé une mèche de cheveux ? »

— « À moi aussi on m’en a coupé une ! » s’écrie un autre ;
— « À moi aussi ! à moi aussi ! » crie chacun d’eux ;
Du page rusé qui dans l’obscurité
Avait si bien rassasié son obscène passion
Le cœur palpite, mais son langage est hardi
Et il conseille aux autres d’avoir recours au Roi.

Un fait si extraordinaire, et l’ordre du Roi
Qui n’avait pas coutume de s’éveiller à pareille heure,
Les rendaient tous incertains et tremblants ;
Si bien que, le visage pâle, pleins de frayeur,
Ils ressemblaient, réunis dans la salle, à une bande de filous
Entourés de sbires et en présence du juge.

Le Roi sortit et se mit à se promener
Sans avoir l’air de faire attention aux pages rassemblés ;
Puis furtivement il les considéra
Et, à sa grande surprise, leur vit à tous
Les cheveux coupés du même côté,
De sorte qu’il ne put distinguer l’encorneur.