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LA NUIT


Dans une telle incertitude, la patience au Roi
Échappa presque, et il fut sur le point de se faire reconnaître.
» Par Dieu ! c’est qu’ils s’en sont donné tous ! »
Dit-il, « et elle n’a pu s’en apercevoir !
» Bah ! que diable dis-je là ? Est-ce que je perds la tête ?
» Oh ciel ! oh ciel ! qui m’a planté les cornes ? »

Il tâte de nouveau le page qui, bien qu’il imitât
Le sommeil mieux que s’il dormait réellement,
Ne fut pas tout à fait maître de faire taire son cœur,
Qui même sauta plus fort qu’auparavant ;
Il sembla à Barbagrazia, et avec raison,
Qu’il l’avait plus agité que les autres.

À cette remarque, et s’apercevant que le visage
Et plus encore l’oreille du jeune homme étaient gelés,
Barbagrazia crut être absolument certain
Que c’était lui qui avait fait le coup ;
Il souffla de colère, et songea à en tirer en hâte
Une obscure, mais terrible vengeance.

« Demain, » se dit-il à lui-même, « au jour,
» Tu auras la plus belle fête que tu aies vue !
» Si je ne craignais de révéler mon déshonneur,
» Sur l’échafaud je te ferais laisser la tête ;
» Mais tu feras, pour qu’on n’ait aucun soupçon,
» La culbute dans une oubliette, »

Alors, afin de le bien reconnaître
Et de ne pas prendre un autre pour lui,
Le Roi, ayant ouvert un portefeuille de maroquin,
Que par hasard il avait dans sa robe de chambre,
En sortit une paire de ciseaux
Et sur l’oreille gauche lui coupa les cheveux.