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LA VIE ET LA MORT


— « Une autre âme, » répondit le Diable,
« Sera mon enjeu contre la vôtre. »
Le prêtre accepta la proposition,
Et, sur la rive du paresseux Cocyte,
Sous un saule sans feuilles, aux branches hérissées,
Satan et le prêtre se mirent à jouer.

Satan avait cinquante-quatre, et, joyeux,
De pique une autre carte il attendait ;
Mais le prêtre, découvrant ses cartes petit à petit,
Tout à coup lui montra la petite prime ;
Le Diable se frotta les cornes
Et dit : — « Pardieu ! je te joue les deux. »

— « Va, » répondit le prêtre, pouffant de rire ;
Et il donna des cartes au souverain du Styx,
Qui de gagner eut l’assurance,
Parce qu’il avait cinquante-cinq en main ;
Mais la patience lui échappa presque,
En voyant abattre trois figures et un sept.

Toutes les quatre et puis toutes les huit,
Puis seize et après trente-deux,
Soixante-quatre et enfin cent vingt-huit :
Le Diable perdit toutes ses âmes ;
Il en voulut risquer jusqu’à mille,
Puis il dit : — « Par Dieu, je ne veux plus jouer !

» Va-t’en vite d’ici, sacré prêtre,
» Oh ! si je mets la main sur ma fourche…
» Prends ce que tu m’as volé,
» Et fiche-moi le camp, fripon, coquin…
» Monsieur l’abbé, partez tout de suite,
» Ou bien je n’ai plus d’égards pour votre tonsure, »