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LA NUIT


Jamais Hippocrate ni Galien ne gratifièrent
Leurs malades de si agréable ordonnance.
Barbagrazia, le cœur plein de joie,
De tous ses vœux appelait la nuit ;
Et, non moins que lui, ne songeant qu’à se satisfaire,
Le page vigoureux la désirait.

Il craignait que ses projets fussent contrariés
Par ses compagnons qui pouvaient tout voir ;
Mais ils furent protégés et favorisés
Par un usage en vigueur dans le quartier :
Le nouveau venu devait payer à souper
La veille au soir du jour des Rois.

Il avait moins de service qu’aucun autre,
Et, comme il était riche, il pouvait se faire honneur.
Il paya un souper exquis, et fut si adroit
À distribuer de Bacchus le délicieux liquide,
Qu’il garda sa raison, tandis que ses convives
S’en allèrent au lit ivres-morts.

Les courtisans étaient sortis de table ;
Tout se taisait dans le palais royal,
Lorsque le Roi, encore plus emmitouflé dans son manteau
Parce que cette nuit-là il faisait plus froid,
Se mit en marche, et, de la manière accoutumée
Alla trouver sa corpulente épouse.

Le page le vit, et il se sentit au cœur
Naître une émotion aigre-douce :
Mettre des cornes sur la tête de son seigneur,
Était chose qui valait la peine d’y penser ;
Entrer dans le lit de la Reine adorée.
Était le plus doux de tous les plaisirs.