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DONNA CHIARA


Déjà par un bout du long corridor
Arrive l’abbesse pour regagner sa chambrette ;
Par l’autre bout, Monsignor en fureur
Vient, entouré de lanternes et de gens armés.
C’est ainsi qu’autrefois vint baiser les joues du Christ
Cette canaille de Judas Iscariote.

La vieille, effrayée, reste un pied en l’air
Et s’écrie : « À cette heure !… Et que voulez-vous ?
» Vous êtes armé ? Quelle idée vous a passé par la tête ? »
Mais Monsignor cria : — « Où est cet indigne prêtre ? »
» Me voici…, tremble, putain de nonne !
» Je viens te faire une jupe de plomb. »

— « Signor, » dit la vieille, « voulez-vous par hasard
» Me salir d’une si vilaine accusation ?
» Ne Connaissez-vous pas ma pudeur ?
» De telles saletés ne sont pas mon fait…
» Ah ! vous avez tort de m’insulter, vous êtes cruel !
» — Où est Donna Chiara ? » s’écria le prélat.

— « Ah, ah ! » dit la vieille, « voici la cellule
» Où couche cette vraie dépravée ! »
Monsignor, plein de colère et de rage,
Donne dans la porte un féroce coup de pied :
» Sors ! » s’écrie-t-il, « coquine de sœur !
» Sors aussi, prêtre, bon apôtre ! »

Au commencement, sœur Chiara ne répondit pas,
Feignant d’être profondément endormie,
Mais Monsignor ne cessa de secouer
La porte, et peu s’en fallut qu’il ne la jetât bas ;
Elle l’ouvrit enfin ; elle regarda, tout endormie,
Puis elle dit en riant : « Oh ! qu’est-ce que cette armée ? »