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LE MORT


Il compte les instants, il accuse le temps et s’écrie :
» Pourquoi ne cours-tu pas aussi rapide que mes vœux ?
» Pour retarder ce que mon cœur désire le plus,
» Vieux lourdaud, t’es-tu rogné les ailes ? »
Il tourne les yeux vers la voûte céleste,
Et de son souffle il voudrait éteindre le soleil.

Mais déjà la nuit répand ses épaisses ténèbres
Et peu à peu en couvre le ciel ;
La lune argentée sort de l’Océan
Et brille des rayons du grand dieu de Délos.
Le moine la regarde, et son tranquille aspect
Lui pénètre le cœur d’un doux plaisir.

Il la salue et dit : « Ô Déesse, précipite
» Vers le milieu de ta carrière le cours paresseux de ton char ;
» Qu’avec ton berger favori, au sommet de Latmos,
» L’amour donne à tes plaisirs la saveur de l’ambroisie !
» Fais ensuite, pour combler mes vœux,
» Que le reste de la nuit soit long comme un mois ! »

Enfin l’heure tant désirée
Sonne à l’horloge du couvent,
Et d’une tour à demi ruinée,
La chouette entonne son chant lugubre,
Présage de grands malheurs : il n’en a souci,
Et ne pense qu’à tenter sa grande aventure.

Il traverse en chancelant la rue solitaire ;
À la porte qui le sépare de son objet chéri
Il arrive, et là voit venir au-devant de lui
La maligne chambrière Argene.
Elle l’accueille gaiement et lui dit à voix basse :
» Ah ! jamais mortel ne fut plus heureux que vous !