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LE MORT


Celui-là pourrait compter les étoiles du ciel,
Les grains de sable de la mer, les fleurs des prés aux mille couleurs,
Qui saurait faire le compte des amants bâtonnés,
Ou de ceux qui, regardant avec délices
Au clair de lune un beau visage,
Ont rapporté leurs boyaux dans leurs chapeaux.

Torturer le cœur de ses serviteurs,
Leur ôter la vie, ne suffit pas à sa capricieuse humeur :
Bien souvent encore à leur dépouille mortelle
Il refuse le repos que leur a concédé la mort.
J’en retiens comme exemple dans ma mémoire
Une triste aventure arrivée à un moine.

Jadis vivait dans la riche Espagne un Duc,
Don Leandro Zambullo y Zamberlucco,
Dont le sang venait, sans tache,
De père en fils, du grand roi Nabuchodonosor,
Lequel, s’il en faut croire l’antique renommée,
Cette mauvaise langue, fut transformé en bête.

Mais notre Duc, homme affable et accompli,
N’en souffrait pas du tout dans son orgueil ;
Il vivait à la Cour, chéri de tous,
Et, premier favori du Monarque,
Il répandait à pleines mains grâces et faveurs ;
Par les liens de la reconnaissance il enchaînait les cœurs.

Le seul défaut qu’eût cet homme
(Chacun a dans ce monde un grain de folie)
N’était ni l’ambition, ni l’avidité,
Mais de sa femme une excessive jalousie.
Peut-être avait-il raison : car elle l’emportait
Sur toutes les belles, comme la lune sur les étoiles.