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COMME ELLES SONT


Lorsque l’usage se fut répandu
De prêter ce qui donne la vie,
Il eut vite trouvé l’idée malicieuse
D’employer ainsi un joli capital,
Et, à dire vrai, ce fut à bon escient
Qu’il fit cette spéculation.

Il n’y a rien de plus cher à l’homme
Qu’un objet qui lui donne tant d’agrément ;
Le destin peut nous enlever notre argent,
Nous dépouiller au vif, nous rendre misérables,
Et nous refaire ensuite aussi riches que Crésus :
Mais à qui le perd, son joyau n’est jamais rendu.

Pour acheter coiffures, voiles, robes ou dentelles,
Les dames mettaient les joujoux en gage.
Vanité de femme est sans limites,
C’est un vice que l’amour même ne peut guérir :
Force était à leurs amants dévalisés
De racheter leur bien à beaux deniers comptant.

Gambatorta examinait la forme,
Le diamètre de l’objet et sa longueur :
Quand il le trouvait à son gré in pondere et mensura,
Il modérait son habituelle âpreté ;
À partir de dix-huit pouces et au-delà, il en donnait
Cent sequins, et il baissait son prix à proportion.

Ici m’objecte un pédant : « Si un si bel engin
» Appartenait à un homme sans ressources,
» Gambatorta était-il donc assez fou
» Pour donner de l’argent, et ne craignait-il de perdre ?
» — Non, Monsieur, il rattrapait capital et intérêts
» Sur le riche qui perdait le sien par le mal Français. »