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LE ROI GRATTAFICO


» Et vous, bon père, qui avez noué
» Le malheureux lien qui m’unit à Lindoro,
» Lien charmant que je bénis et que j’aime
» À me rappeler, bien qu’il me coûte si cher,
» Veuillez venir en aide à mon enfant
» Quand je serai privée de mouvement et de vie.

» S’il m’arrive que le ciel m’accorde un fils,
» Ah ! que guidé par vous, adulte, il imite son père,
» Qu’il voie sa dépouille mortelle et qu’elle lui rappelle
» Ce qu’exigent de lui devoir et honneur ;
» Que par lui tout rejeton de l’assassin tombe
» Anéanti, ou qu’il vienne lui aussi s’étendre près de nous ! »

Grattafico, par un tel langage attendri,
Sentit en son cœur un mouvement de courage :
Il voulut se montrer et demander bravement à la dame
Permission de punir ce traître
En combattant les armes à la main ;
Mais il se tut et fit comme Caton.

La princesse embrasse le corps sans vie
Et lui dit en pleurant l’adieu suprême,
Elle le baise ardemment au visage :
« Nous serons vite réunis, mon ami, »
Dit-elle, et, abandonnant ce lieu désolé,
Elle se retire en arrière à petits pas.

Elle part enfin, et le moine l’accompagne,
Grattafico la suit la tête basse,
Et pendant qu’elle pleure, qu’elle se désole encore,
Il se dit à lui-même : « Voilà une vilaine affaire !
» Je vois bien que si j’épousais cette femme-là,
» Je resterais veuf au bout de peu de jours. »