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LA GAGEURE


Ainsi fut convenu entre les quêteurs ;
Ils promirent de se retrouver le lendemain matin,
Mais quand les étoiles commencèrent à paraître,
Et que la nuit eut tout couvert de ses ombres,
Fra Biagio, affamé de vengeance,
Frappa vite à la porte du brigand de fermier.

Celui-ci ouvrit, en s’écriant : « Un autre moine ! »
(Le vaurien y avait pris goût)
« Bonsoir, mon père, oh ! passez,
» Déposez-moi besace et bâton.
» Bravo ! Eh bien, voulez-vous, bon père,
» Mettre dix sequins sur cette petite table ? »

— « Pourquoi ? » répondit le moine. — « C’est un nouvel usage, »
Répliqua le fermier, « que dans ma maison,
» Pour que personne ne manque à la politesse,
» Chacun dépose pareille somme ;
» Celui-là la perd et par punition est mis à la porte,
» Qui prononce le premier un mot obscène.

» Prenez cela en bonne part, mon petit père. »
Et en parlant ainsi, il déposa somme égale.
— « Bravo, » dit le moine, « cela me plaît,
» Mais je ne suis pas content de la quantité,
» Dix sequins ne signifient rien :
» Si nous voulons jouer, jouons-en vingt. »

— « Mieux que cela, » dit le fermier, « jouons-en trente.
» — Trente, cela va, signor, » répondit le moine.
Et ils sortirent tous deux une somme égale
En monnaie de fort bon aloi.
Cela fait, le fermier et le frère
Entrèrent en conversation.