Page:Nouvelles de Batacchi, (édition Liseux) 1880-1882.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
LA GAGEURE


Tandis que Fra Bemardino épanchait ainsi
Le chagrin dont cette méchante aventure avait rempli son cœur,
Son camarade qui, attentif, l’écoutait,
Fit péter, à force de rire, les boutons de sa braguette ;
Il lui répondit enfin : — « Eh ! mon frère !
» Je ne te croyais, pardieu ! pas si coïon !

» Il vaudrait mieux que tu fusses mort
» Il y a trois ans, de ce mal Français que tu as eu,
» Que de faire au capuchon pareille avanie ! »
Puis il se prit le menton dans la main,
Pinça les lèvres, baissa les yeux, remua
La tête, et frappa légèrement la terre du pied.

Ensuite, il leva le front et dit à son camarade :
— « Eh bien, mon frère, que veux-tu me donner
» Si je regagne la somme que tu as perdue
» Et si je te rends tes sequins ?
» Je dirai plus, pour soulager ta douleur,
» Si je les tire de la poche de ce fermier ? »

Avez-vous jamais vu, sous un ciel sombre,
Un nuage, s’entr’ouvrant à l’improviste,
Montrer dans sa splendeur le roi de Délos,
Puis se refermer ? Ainsi apparut le rire
Comme un éclair sur le visage du moine, puis
Il retomba dans ses transports de colère.

— « Tais-toi, » dit Fra Biagio, « au lever du soleil,
» Demain, tu n’en seras pas là.
» Et… crois-en ma parole, je te prie…
» Tu auras dans ta poche les sequins perdus…
» — Dis-tu vrai ? » répondit Bernardino ;
Et, à ces assurances, sa colère se calma un peu.

3