je ne ressens pas dans les cimetières de Paris. Sans nul doute, la sélection des tombes dans un temple, le choix des personnages, leur passé, leur valeur entrent pour une large part dans l’émotion dont je parle, mais le silence, l’obscurité du temple aident aussi aux vibrations de la pensée en face des sépultures qu’il abrite sous ses voûtes. Combien de visiteurs se rendent de nos jours auprès des tombeaux de Racine et de Pascal à Saint-Étienne-du-Mont, de Colbert à Saint-Eustache, de Napoléon aux Invalides, de Victor Hugo au Panthéon, et de quels pèlerinages perpétuels la basilique de Saint-Denis, notre Westminster, n’est-elle pas honorée ? Mais c’est au Louvre que depuis un siècle il nous faut chercher les monuments fragmentés des Poncher, des Chabot, des Birague, de Mazarin et mainte œuvre rare sortie de la main de Pilon, de Prieur, de Guillain, de Richier, de Sarazin, qui jadis étaient la parure de chapelles conventuelles aujourd’hui disparues.
Avec le xixe siècle, les monuments funéraires n’ont plus leur place dans les temples. C’est à peine si les évêques ont conservé le droit d’être inhumés dans leurs cathédrales. Grands ou petits, illustres ou inconnus, à de rares exceptions, sont appelés à dormir leur dernier sommeil dans la terre commune du cimetière. Seule, la superficie de la concession distinguera le riche d’avec le pauvre. Sur le terrain concédé, beaucoup feront construire des chapelles minuscules, ornées souvent avec goût ; d’autres érigeront de superbes effigies, statues pédestres ou même équestres, bas-reliefs, bustes, médaillons. Mais de quelque mérite que soient ces ouvrages, ils se trouvent dispersés, perdus au milieu de tombes modestes et sans caractère. Supposez un instant une vaste basilique construite sur la crête du Père-Lachaise et toutes les sépultures magnifiques que renferme la nécropole groupées avec goût dans le temple dont elles seraient l’ornement, quel ensemble grandiose de compositions achevées qui, du moins, seraient ainsi préservées, alors qu’actuellement les marbres les plus remarquables, sculptés depuis un demi-siècle, s’effritent sous l’action de la pluie et du soleil !
L’ordre de choses actuel est-il un progrès sur l’ordre ancien ? Nous ne le pensons pas. En effet, les tombes, dans le temple, étaient l’élite ; dans la nécropole, elles sont la foule.