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HENRI DE KLEIST

valier, qu’un ange lui amène comme celui qu’elle doit aimer d’amour, et auquel die doit rester à jamais fidèle. Et quelque temps après, toujours poursuivie par le souvenir de ce rêve qui lui a fait une forte impression, elle entre dans l’atelier de son père, y trouve le jeune comte de Strabl, et reconnaît trait pour trait le chevalier qu’elle a vu en rêve. Alors son sort est décidé, elle s’élance à la suite du comte quand il part, et ne veut plus le quitter. Le comte la repousse, elle revient. Il la maltraite, elle se taît, pleure en silence et marche derrière lui. Le jour elle s’en va à pied le long des grandes routes, tandis qu’il est à cheval ; la nuit elle repose sur un rocher ou dans une étable, et le matin elle est déjà auprès de lui. Une fois il veut à toute force se débarrasser d’elle, il la fait reconduire par ses gens chez l’armurier ; il va à Strasbourg, et trois jours après Kätchen est à Strasbourg. Pauvre jeune fille, qui dévore sans se plaindre toutes les humiliations que son amour lui cause ; espèce de Mignon, dont la passion fait toute l’énergie, âme de feu dans un corps délicat et souffrant.

Cependant le vieil armurier qui ne peut pas avoir sa fille, accuse devant les francs-juges le comte de Strahl d’avoir jeté un sort sur elle. Le comte de Strabl se rend à la sommation qui lui est faite de comparaître, et raconte comment Kätchen l’a suivi. « Quand je me retournais, dit-il, je voyais deux choses : elle et mon ombre. »

Puis arrive Kätchen, faible, pâle, tremblante, qui dans toute cette assemblée ne voit que le comte, et qui s’incline à genoux devant lui.

Les juges l’invitent à expliquer sa conduite, mais elle ne répond pas. Le comte de Strahl le lui ordonne, alors elle s’écrie :

Tu es pour moi si cruel, que je pourrais pleurer ; mais, mon noble seigneur, enseigne donc à ta servante ce qu’elle doit faire maintenant.