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HENRI DE KLEIST

Ainsi le malheureux marchait graduellement à cette fin tragique qui devait dénouer d’une si triste manière le problème de sa vie. Les circonstances de cette mort sanglante ont été racontées de diverses manières, et comme dans le temps elles occupèrent tout le monde de Berlin, tout le monde voulut y apporter son commentaire. Depuis vingt ans que le fait est accompb, ces circonstances se sont bien modifiées, et d’après le témoignage des personnes les mieux informées, voici la version que l’on peut donner aujourd’hui comme la mieux accréditée.

Henri de Kleist entretenait depuis quelque temps des relations avec la femme d’un marchand de Berb’n, Mme Adolphine Vogel. Ces relations avaient pris bientôt un caractère frappant d’intimité par le caractère tendre, mélancobque de la jeune femme, et par le bonheur que Kleist devait sentir à trouver une ame d’une trempe analogue à la sienne et capable de le comprendre. Mais ce qui fit le uudheur véritable de cet amour, c’est que Mme Vogel souffrait d’une maladie longue, douloureuse, déclarée par tous les médecins incurable, et avec laquelle elle n’avait plus que la perspective de traîner plus ou moins de temps une vie languissante ou torturée, et dénuée de tout espoir. Dans cette cruelle situation il est à croire que la baison de ces deux êtres, si singubèrement portés à la souffrance, ne pouvait apporter ni à l’un ni à l’autre aucun résultat moral bien avantageux. Elle savait qu’elle n’avait plus de guérison à attendre aux maux dont elle souffrait, et qu’une suite de douleurs toujours croissantes devait être sa seule perspective. Lui, fatigué de tout ce qu’il avait connu, revenu de tout ce qu’il avait entrepris, ennemi du passé et redoutant l’avenir, fermait volontairement les yeux au remède qu’il pouvait encore trouver, et voulait aussi désespérer de la vie. Ils échangèrent ainsi leurs plaintes, et la pitié mutuelle qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, loin de leur porter quelque consolation, ne