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HENRI DE KLEIST

au désespoir, et livré à une froide douleur, à une désolante susceptibilité, en vient à ne plus se comprendre lui-méme, et à ne pas comprendre les autres. Tels sont ces êtres hypocondriaques et angoissés, qui, attirés par l’art et la science, aspirent, comme Tantale, à boire à la source de la vie. Toutefois la nature ne nous montre que rarement cette lice cruelle, où le talent, l’amour, le malheur, le caractère, se mêlent, se froissent, amènent une catastrophe, et parmi ces rares apparitions, peu d’hommes ont droit à autant de pitié et d’estime que Henri de Kleist. »

Henri de Kleist naquit à Francfort-sur-l’Oder le 10 Octobre 1777. En 1795 il vint à Berlin, entra dans les gardes, et fit la campagne du Rhin. Mais son amour de l’étude ne pouvant s’allier avec les obligations du service militaire, il renonça au parti qu’il avait embrassé, et retourna à Francfort, où il passa les deux années de 1799 et 1800. Il avait eu une enfance très-appliquée, et livrée à plusieurs branches d’instmction. De bonne heure aussi il s’était développé en lui un talent de musicien rare, auquel il s’adonna avant que de pressentir sa vocation de poète, et auquel il se plut souvent à revenir. « Je voudrais, écrit-il une fois à un de ses amis, laisser pendant un an, et même plus, reposer toute espèce de poésie, et, à part quelques études scientifiques, n’avoir plus à m’occuper que de musique ; car je considère cet art comme la racine, ou mieux encore comme la formule algébrique de tous les autres. Nous avons un poète[1] (auquel, du reste, je n’ai en aucune sorte la prétention dêtre comparé), qui tire des couleurs toutes ses pensées sur l’art qu’il exerce ; moi j’ai déjà, dès ma première jeunesse, tiré des sons toutes les idées générales que j’ai eues sur la poésie. »

En 1800 Kleist retourne à Berlin et se procure une place au ministère de la marine ; mais bientôt mécontent de cette

  1. Gœthe.