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HENRI DE KLEIST

secrète, à se torturer et se consumer elle-même, et qui est d’autant plus à plaindre, que la plaie dont elle souffre n’apparaît point aux regards, n’indique point de remède, que la science médicale ne peut y toucher, et qu’après de longues angoisses intérieures, dont quelques hommes peuvent seuls connaître toute la force, elle ne sert souvent qu’à confirmer ces paroles de Ch. Nodier, qu’il y a des maladies de l’ame plus profondes et plus incurables que les maladies du corps.

Louis Tieck a écrit sur Kleist quelques pages admirables, qui témoignent autant de sa sympathie pour le jeune poète, que de l’art avec lequel il a su le juger. Je citerai entre autres celle-ci : « Cette profonde disharmonie, cette suite de contrariétés trop vives et trop fréquentes qui menacent de détruire l’existence, peuvent être sans grande influence sur certaines âmes. Les hommes ordinaire ne s’en tourmentent pas beaucoup, ou du moins pas long-temps ; la jeunesse avide et curieuse se trouve bientôt occupée avec le genre de travail qu’elle s’est choisi, distraite par le monde, et entraînée de côté et d’autre par les occasions journalières qui se présentent à elle. Au contraire, l’histoire de la jeunesse de ces hommes qui s’adonnent à l’étude des sciences, surtout à l’art et à la poésie, offre toujours de grandes analogies ; car ces hommes ne peuvent jamais que plus ou moins dompter les tristesses intérieures, que le contact du monde et l’ignorance de ce qui se développe en eux excitent dans leur ame. Et de là, voici ce qu’il peut arriver : ou une noble insouciance s’empare de cette ame malade, ou l’imagination souffrante se guérit eaicore par l’imagination, ou enfin, les grandes beautés de la nature, la, religion, la philosophie, reposent le cœur ; l’artiste vit tout entier pour son art, et la vie commune, avec tous ses petits événemens, ne sert qu’à renouveler en lui les idées et les conceptions qu’il embrasse. Mais souvent aussi il arrive que l’esprit, ne trouvant point ce qu’il cherche, se fatigue en efforts impuissans, tombe de l’enthousiasme