Page:Nouveau - Poésies d’Humilis et vers inédits, 1924.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais ces sources-là semblaient taries en elle. Un soir pourtant, au chevet de sa mère, agonisante, deux longues larmes coulèrent bien sincèrement du fond de ses yeux creusés par l’idée fixe, mais elles se perdirent en vain dans les plis railleurs de ce damné sourire. Et deux jours après, malgré sa robe de deuil, les passants la purent voir, à travers les vitres, qui souriait toujours derrière les balances de sa boutique, auxquelles son doigt imprimait une oscillation machinale.

Et la sourieuse (c’est ainsi que les gens du pays la surnommèrent) vécut encore longtemps, supportant sans oser se plaindre tout le poids d’une existence maudite. Volontiers elle restait enfermée chez elle mais s’étant mise à fréquenter l’église, espérant ainsi apaiser les colères du ciel, chaque dimanche toute la rue la voyait passer, pâle en coiffe sombre, mais souriant sans trêve, souriant au vent et à la neige, à la pluie et au soleil, aux tableaux gais comme aux spectacles tristes, aux regards amis comme aux visages étrangers à la façon d’un portrait sur la toile, indifféremment.

Enfin, Dieu mit un terme à sa honte : elle mourut. Mais quand on transporta son corps à l’église, la bière découverte selon la mode du pays, toutes les bonnes âmes s’effrayèrent de ce sourire, qui ne la quitta pas même avec la vie. Car ce n’était pas le sourire de la béatitude, qu’après leur mort on voit s’attarder sur les lèvres des