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leur sépulture dans un désert, où le récit de leur triste aventure est gravé sur une grosse pierre. »

« Pour nous l’extrémité fut telle, qu’il ne nous resta plus que du bois de Brésil, plus sec que tout autre bois, que plusieurs néanmoins, dans leur désespoir, grugeaient entre leur dents. Dupont, notre conducteur, en tenant un jour un morceau dans la bouche, me dit avec un grand soupir : « Hélas ! Léry, mon ami, il m’est dû en France une somme de quatre mille francs, dont plût à Dieu qu’ayant fait une bonne quittance, je tinsse maintenant un pain de quatre livres et quelques verres de vin ».

« L’horrible situation où nous étions plongés influe singulièrement sur le caractère et rend cruelles les personnes les plus douces, ainsi que nos lecteurs doivent s’en douter. N’est-il pas des mères qui, dans un siège, ont mangé leurs propres enfants ? Des soldats, réduits à la même extrémité, se jetèrent sur les corps de leurs ennemis, et ont fait, depuis, l’aveu que si leur situation eût continué, ils étaient résolus de se jeter sur leurs camarades.

« Enfin, Dieu daignant venir à notre secours et nous conduire fit la grâce à tant de misérables étendus presque sans mouvement sur le tillac, d’arriver le 24 mai 1558, à la vue des terres de Bretagne. Nous avions été trompés tant de fois par le pilote, qu’à peine pûmes-nous prendre confiance en ceux qui nous annoncèrent notre bonheur. Cependant nous fûmes bientôt certains que nous avions notre patrie devant les yeux. Après que nous eûmes remercié le Ciel, le maître du navire