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par une mer si violente, que, faute d’art ou de force pour ménager les voiles, on se vit dans la nécessité de les plier et de lier même le gouvernail ; ainsi le vaisseau fut abandonné au gré des vents et des flots ; le gros temps même était l’unique espérance dont nous pussions nous flatter : alors nous avions l’espoir de prendre quelques poissons.

« Aussi tout notre monde était-il d’une faiblesse et d’une maigreur extrêmes ; cependant la nécessité nous faisait songer sans cesse au moyen d’apaiser notre faim. Quelques-uns s’avisèrent de couper des pièces de cuir et de les faire fricasser : ce mets ne nous parut point mauvais, ainsi que les fritures de nos souliers découpés par bandes. Mais notre faiblesse et notre faim, toujours renaissante, ne nous empêchaient pas, sous peine de couler à fond, de nous relever alternativement pour travailler à la pompe.

« Environ le 12 mai, notre canonnier mourut de faim. Nous fûmes peu touchés par cette perte ; car, bien loin de penser à nous défendre si l’on nous eût attaqués, nous eussions plutôt souhaité d’être pris par quelque pirate qui nous eût donné à manger. Mais nous ne vîmes, à notre retour, qu’un seul vaisseau, dont il nous fut impossible d’approcher.

« Après avoir dévoré tous les cuirs du vaisseau, jusqu’au couvercle des coffres, nous pensions toucher au dernier moment de notre vie ; mais la nécessité fit penser à quelqu’un de faire la chasse aux rats et aux souris ; et nous espérâmes de les prendre d’autant plus facilement, que ces petits