Page:Nougaret - Naufrages célèbres, ou Aventures les plus remarquables des marins, 1843.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sécher de la poudre dans un pot de fer, le laissa si longtemps sur le feu, qu’il rougit, et la flamme, ayant pris à la poudre, donna si rapidement d’un bout à l’autre du navire, qu’elle mit le feu aux voiles et aux cordages : il s’en fallut de peu qu’elle ne s’attachât même au bois, qui, étant goudronné, n’aurait pas manquer de s’allumer promptement et de nous brûler vifs au milieu des eaux. Nous eûmes quatre hommes maltraités par le feu, dont l’un mourut quelques jours après.

« Nous étions le quinze avril ; il nous restait environ cinq cent lieues jusqu’aux côtes de France. Nos vivres étaient si diminuées, malgré le retranchement qu’on avait déjà fait sur les rations, qu’on prit le parti de nous en retrancher la moitié ; et cette rigueur n’empêcha point que, vers la fin du mois, toutes les provisions ne fussent épuisées. Notre malheur vint de l’ignorance de notre pilote, qui se croyait proche du cap Finistère en Espagne, tandis que nous étions encore à la hauteur des Açores, qui en sont à plus de trois cent lieues. Une si cruelle erreur nous réduisit tout d’un coup à la dernière ressource, qui consiste à balayer la salle ou chambre où l’on tient le biscuit. On y trouva plus de vers et de crottes de rats que de miettes de pain. Cependant on en fit partage avec des cuillers, pour en faire une bouillie noire et dégoûtante ; mais tout passe dans la famine. Ceux qui avaient encore des perroquets (car depuis longtemps plusieurs avaient mangé les leurs), les firent servir de nourriture dès le commencement du mois de mai, que tous les vivres ordinaires vinrent à nous manquer.

« L’horreur d’une telle situation fut augmentée