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au premier qui ferait mine d’y entrer. Nous voyant délaissés à la merci de la mer, et nous ressouvenant du premier naufrage dont Dieu nous avait délivré, autant résolus à la mort qu’à la vie, nous allâmes nous employer de toutes nos forces à tirer l’eau par les pompes, pour empêcher le navire de couler à fond ; nous fîmes tant d’efforts, qu’elle ne nous surmonta point.

« Mais le plus heureux effet de notre résolution fut de nous faire entendre la voix du charpentier, qui, étant un jeune homme de cœur, n’avait pas abandonné le fond du navire comme les autres ; au contraire, ayant mis son caban ou sa capote sur la grande ouverture qui s’y était faite, et se tenant à deux pieds dessus pour résister à l’eau, laquelle, comme il nous le dit depuis, de sa violence le souleva plusieurs fois, criait en cet état et de toutes ses forces qu’on lui apportât des hardes, des lits et autres choses pour empêcher l’eau d’entrer pendant qu’il boucherait cette terrible voie d’eau ; il ne faut pas demander s’il fut servi promptement. Par ce moyen nous fûmes préservés du danger éminent qui nous menaçait.

« On continua de gouverner tantôt à l’est, tantôt à l’ouest, quoique ce ne fût pas notre chemin ; car notre pilote, qui n’entendait pas bien son métier, ne sut observer sa route, et nous allâmes ainsi, dans l’incertitude, jusqu’au tropique du Cancer, où nous fûmes pendant quinze jours dans une mer herbue. Les herbes qui flottaient sur l’eau étaient si épaisses et si serrées, qu’il fallut les couper avec des cognées pour ouvrir le passage au vaisseau. Un autre accident faillit nous perdre. Notre canonnier, faisant