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dre le parti de regagner la terre, dont nous étions éloignés que de neuf à dix lieues. On nous donna la barque, que nous chargeâmes de tout ce qui nous appartenait, avec un peu de farine et d’eau. Tandis que nous prenions congé de nos amis, un d’entre eux qui avait une singulière affection pour moi, me dit en tendant la main vers la barque où j’étais déjà : « Mon cher Léry, je vous conjure de demeurer avec nous. Considérez que, si nous ne pouvons arriver en France, il y a plus d’espérance de nous sauver, soit du côté du Pérou, soit dans une île, que sous le pouvoir de Villegagnon, de qui nous ne devons jamais espérer aucune faveur. » Ces instances firent tant d’impression sur moi, que les circonstances ne me permettant plus de longs discours, j’abandonnai une partie de mon bagage dans la barque et me hâtait de remonter à bord. Les cinq qui restèrent prirent congé de nous les larmes aux yeux et retournèrent au Brésil. Je dus des remerciements au Ciel pour m’avoir inspiré de suivre le conseil de mon ami. Nos cinq déserteurs étant arrivés à terre avec beaucoup de difficultés, Villegagnon les reçut si mal, qu’il en fit pendre trois.

« Notre vaisseau remit à la voile comme un vrai cercueil, dans lequel ceux qui s’y trouvaient renfermés s’attendaient moins à vivre jusqu’en France qu’à se voir bientôt ensevelis au fond des flots. Outre la difficulté qu’il eut d’abord de passer les basses, il essuya de continuelles tempêtes pendant tout le mois de janvier, et ne cessant point de faire beaucoup d’eau, il serait péri cent fois dans un jour, si tout le monde n’eût travaillé sans relâche aux deux pompes.