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j’étais, prirent la résolution de faire tous leurs efforts pour prolonger leur vie de quelques moments. Un travail infatigable nous fit soutenir le navire avec deux pompes jusqu’à midi, c’est-à-dire près de douze heures, pendant lesquelles l’eau continua d’entrer en si grande abondance, que nous ne pûmes diminuer sa hauteur. Cette eau, passant par les tas de bois de Brésil dont le vaisseau était chargé, sortait par les canaux aussi rouge que du sang de bœuf. Le charpentier, aidé des matelots les plus intelligents, parvint enfin à découvrir, sous le tillac, les fentes et les trous les plus dangereux, et à les boucher avec du lard, du plomb et des draps.

« Dans ces circonstances, nous aperçûmes la terre, et le vent étant favorable pour y aborder, nous prîmes tous la résolution de nous y réfugier ; c’était aussi l’opinion du charpentier, qui avait reconnu dans ses recherches que le navire était tout rongé de vers. Mais le maître du bâtiment, craignant d’être abandonné de ses matelots s’il touchait une fois au rivage, aima mieux hasarder sa vie et celle de ses compagnons que ses marchandises, et déclara qu’il était résolu de continuer sa route. Cependant il offrit aux passagers une barque pour retourner au Brésil, à quoi Dupont, que nous n’avions pas cessé de reconnaître pour chef, répondit qu’il voulait aussi tirer vers la France, et qu’il conseillait à tous ses gens de le suivre. Là-dessus, le contre-maître observa qu’outre les dangers de la navigation, il prévoyait qu’on serait longtemps sur mer, et que le vaisseau n’était point assez fourni de vivres. Nous fûmes six à qui la double crainte de la famine et du naufrage fit pren-